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La Jeanne d'Arc équestre de Paul Dubois

En 1896, une statue équestre monumentale de Jeanne d'Arc est inaugurée par le président de la république d'alors, sur le parvis de la cathédrale de Reims.

Découvrez la passionnante genèse de cet évènement extraordinaire !

Genèse d’une oeuvre

En 1886, l’Académie Nationale de Reims, sous l’égide de son président, Auguste Leseur, commande à Paul DUBOIS[1] une statue équestre de Jeanne d'Arc destinée au parvis de la cathédrale.

Une souscription est lancée à Reims. 3 500 souscripteurs y contribuent à hauteur de 147 352 francs. Léon BOURGEOIS, député de la Marne et ministre de l’Instruction publique, y participe à hauteur de 12 000 francs. Les dons proviennent également des grandes maisons de champagne, des membres de l’Académie nationale de Reims, du département de la Marne, de la Caisse d’Épargne de Reims. La souscription étant nationale, les oboles affluent de toute la France, parfois fort modestes, mais ils démontrent combien l’engouement pour l’héroïne guerrière est prégnant et populaire.

Plus ou moins oubliée des siècles précédents, au début du 19ème siècle, Jeanne d’Arc devient une figure très populaire, admirée et aimée des Français dans un élan très romantique, qui s’est renforcé de sentiments patriotiques à la fin du siècle et les malheurs de 1871.

Jeanne d'Arc, une figure historique revendiquée

Les facettes si contradictoires de la petite Lorraine fascinent : fille du peuple vertueuse et modeste, elle est une guerrière acharnée ; fervente chrétienne, elle est pourtant condamnée par l’Église ; dévouée à son Roi, elle est trahie par lui. L’historien Jules MICHELET[2] n’est pas étranger à ce regain d’intérêt pour la personnalité et le parcours de Jeanne d’Arc. En 1841, dans le livre V de son Histoire de France, il met en avant sa figure héroïque qui s’impose par son exemplarité.

La vierge guerrière des Marches de Lorraine est la libératrice. À sa voix, la France se réveille, réunit ses troupes. L’espérance renait dans les cœurs jusqu’à la victoire.

 

 

Héroïne des Royalistes de la Monarchie de Juillet, tout autant que des Républicains des années 1880 -1890, la figure de Jeanne d’Arc se retrouve aussi bien en littérature, qu’en sculpture, en peinture et même en musique[3].

Le 10 juin 1837, le Roi Louis-Philippe inaugure avec faste, au château de Versailles, les galeries dédiées à toutes les gloires de la France où la sculpture Jeanne en Prière, de sa fille, la princesse Marie d’Orléans[4], trouve bonne place. L’élan se poursuit sous une Troisième République qui veut asseoir sa légitimité et renforcer un nationalisme mis à mal par la perte de l’Alsace et la Lorraine à l’issue de la guerre de 1870-71. Jeanne d’Arc devient même selon l’expression de Paul Déroulède[5], la patronne des envahis, une Jeanne La Revanche qui exacerbe les sentiments.

Jeanne d’Arc occupe les pages des manuels scolaires. Les images d’Épinal racontent son histoire. « Souvenons-nous toujours, Français,avait écrit Jules Michelet[6], que la Patrie chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »

En 1874, le premier monument commémoratif de la République de l’héroïne nationale, une époustouflante statue équestre due à Emmanuel FRÉMIET[7], est inauguré place des Pyramides.

De son côté, l’Église s’active. En 1855, monseigneur Dupanloup est bouleversé à la lecture des comptes-rendus du procès de Jeanne d’Arc, que venait de publier l’historien Jules QUICHERAT. Convaincu que la jeune héroïne n’a pu agir que par la volonté de Dieu, il demande au Pape Pie IX, en 1869, d’entamer son procès en canonisation qui aboutira plus de 50 ans après[8].

De la commande aux esquisses

En 1886, la cité du sacre des Rois, Reims, tient à pour commémorer la venue de la Pucelle lorraine, en 1429, au moment du sacre du dauphin Charles VII.

Le sujet plait au sculpteur : l’héroïne nationale de la France, symbole de Foi et de pureté, l’une des expressions du Génie de la France… Il aime à reprendre à son compte la formule de son célèbre aïeul Jean-Baptiste PIGALLE : il faut que mon agitation s’échauffe sur un sujet…

Et elle va s’échauffer son imagination !  Il en passe des heures à étudier la vie de la bergère lorraine. Quel visage lui restituer ? Il fouille les archives, visite les musées, examine les vitraux, lit les Chroniques de Saint-Denis, le Livre d’Heures du duc de Bedford, Les Faits d’armes et de chevalier de Christine de Pisan, Romuléon, le Champion des Dames, de Martin le Franc, Les Histoires de Troie, La Fleur des Hystoires, les minutes des procès, les publications de Jules Quicherat sur la Pucelle. Il épluche le Livre V de Jules Michelet consacré à la Vierge guerrière, décortique l’Histoire de Charles VII d’Albert Vallet de Viriville.

Il reproduit avec minutie, depuis les Archives, les sceaux des différents protagonistes de la vie de Jeanne d’Arc.

Tandis qu’il compulse toutes ces sources, il élabore des effigies à la cire, dans son atelier des Beaux-Arts. Détruit celles qui ne lui plaisent pas, et recommence, détruit et recommence encore.

Puis il se lance dans l’ébauche de la première monture. Sortie de l’atelier au moyen de rails installées spécialement à cet usage, il invite plusieurs de ses amis à venir en voir le résultat à la pleine lumière du jour.

 

En observant l’une des ébauches, l’ami Léon BONNAT remarque que le mouvement de la monture est peut-être un peu trop fougueux. Aussitôt le Maître doute, détruit l’ébauche, et se remet à l’ouvrage. La deuxième ébauche propose un cheval au trot assagi qui permet à la Vierge Guerrière une petite prière sous le casque du Salut et l’épée de l’Esprit[9].

Montée sur son cheval avançant d’un pas lent et majestueux, dans une allure de passage, patte antérieure droite relevée à l’équerre, Jeanne d’Arc se tient dressée sur ses étriers, le torse légèrement de biais, les rennes de sa monture dans la main gauche le bras droit levé droit derrière elle brandissant son épée, comme s’offrant dans un geste sacrificiel.

Elle arbore une armure simplissime. Elle porte un casque, dont la visière relevée laisse paraitre son regard déterminé, tourné vers le ciel, comme en communion avec lui. Le sculpteur avait été frappé par une phrase de la Pucelle, lue dans une chronique : Quand j’entends cette voix, j’ai grand’joie, et la voudrais toujours entendre ! Il cisèle sur le visage de sa Jeanne une expression sereine, car ses voix lui conseillent de toujours faire hardiment gai visage. Ce que veut le Maître , c’est faire jaillir l’élan d’enthousiasme qui guide le vierge guerrière, élan assimilé à l’extase divine qui l’élève au-dessus des sentiments humains.

Le choix du visage de Jeanne d’Arc est bien sur l’objet de nombreuses ébauches. Finalement deux sont retenues : l’une, nous rapporte sa petite fille Françoise du CASTEL[10], découverte, aux cheveux courts tombants, et surmontée seulement d’une couronne de lauriers. L’autre est celle que l’on voit aujourd’hui, emprisonnée dans l’armet sans visière et n’empruntant son caractère surnaturel qu’à l’expression des yeux.

C’est cette dernière qui a été retenue, d’un commun accord, par tous les amis du Maître. Elle n’a pas de couronne, il est vrai. Mais, jugent-ils l’admiration du public lui en mettra une.

 

 

Des esquisses à la statue

En mai 1889, Paul DUBOIS présente son projet, en plâtre, au comité de souscription, au Palais de l’Industrie.

Le sculpteur reçoit pour ce travail 136 000 francs, à charge pour lui de payer le fondeur, à hauteur de 60 000 francs.

Paul DUBOIS avait choisi le fondeur Pierre Bingen, le dernier spécialiste du procédé de la cire perdue, auquel il tenait grandement pour la qualité de la ciselure. Mais les choses s’étaient passées de manières plutôt chaotiques. Aussi, après divers déboires de tous ordres, le caractère difficile du fondeur, sa roublardise, c’est finalement le fondeur Edmond Gruet[11] qui termine la statue… cinq ans plus tard.

 

La statue est dévoilée au Salon de 1895. Elle est accueillie par un grand cri d’admiration unanime du public et des applaudissements en tous sens. À genoux !  déclame alors Sarah BERNHARDT, qui se laisse emporter par l’ambiance enthousiaste. Paul DUBOIS assiste à cette salve d’acclamation la tête inclinée vers le sol, comme tétanisé. Lorsqu’enfin il parvient à la relever, il ne distingue rien, les yeux noyés dans un brouillard de larmes émues…

15 juillet 1896 – Inauguration statue

 Paul Dubois reçoit à cette occasion la Grand Croix de la Légion d’Honneur des mains même du président de la République Félix Faure.

Félix Faure veut une inauguration sobre, mettant essentiellement l’accent sur le patriotisme. En cette dernière décennie du 19ème siècle, les divergences politiques entre la France catholique, bien souvent monarchiste et la France républicaine sont très vives. Malgré les recommandations du maire de Reims, Maurice NOIROT, à ses administrés de ne pas exprimer leurs convictions personnelles, les Catholiques ne renoncent pas à la célébration d’une Grand Messe et d’un Te Deum par l’archevêque de Reims, le cardinal Langenieux, tandis que l’Éclaireur de l’Est, journal des Radicaux rémois, se déchaîne, rappelant à l’envi que Jeanne d’Arc a été jugée, condamnée et exécutée par l’Église elle-même…

15 juillet – 8 heures -

Félix Faure quitte l’Elysée pour la gare de l’est. Il prend place dans un train spécial composé de 3 wagons-salons[12] et de 3 wagons de première classe pour les accompagnateurs et les journalistes.

10 heures 15 –

Arrivée du train présidentiel en gare de Reims accueilli en grandes pompes par le  maire Maurice NOIROT et son conseil municipal.

Dans un landau attelé par sept chevaux, et suivi par un cortège de 26 voitures à cheval, le Président se rend à la sous-préfecture[13], traversant une cité pavoisée et ponctuée de plusieurs arcs de triomphe[14].

À partir de 14 h –

La visite rémoise permet au Président après une courte visite à l’hôtel de ville, d’inaugurer le Maison de Convalescence du faubourg Cérès, financée par les notables rémois.

À partir de 17 h –

Arrivée du Président sur le parvis de la cathédrale accueillie par 21 coups de canon et la Marseillaise donnée par l’Harmonie Municipale.

Félix Faure décore Paul Dubois de la grand-croix de la Légion d’honneur avant que ne commencent les réjouissances[15] :  une ode est déclamée au pied de la statue par le poète champenois, Henri Richardot, avant que l’Harmonie municipale et une chorale n’exécutent une œuvre en l’honneur de Jeanne d’Arc composée par le rémois Théodore Dubois. Après trois discours successivement prononcés par le président de l’Académie de Reims, Alphonse Gosset, par le maire, et par le ministre de la guerre, les sapeurs-pompiers, les sociétés rémoises et les troupes casernées à Reims défilent.

Les festivités se concluent par un banquet, au grand théâtre. Le Président y prend une dernière fois la parole, saluant la population ouvrière rémoise et rappelant le lien entre Jeanne d’Arc et la Patrie avant de reprendre le train de bonne heure, ce qui n’empêchera pas le banquet de se poursuivre jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Le graveur Chaplin édite une médaille pour l’occasion, tandis qu’une Jeanne d’Arc en modèle réduit est offerte au Pape Pie X qui note que les yeux levés, signifient la prière tandis que l’épée levée, exprime l’action.

Outre Reims,  on trouve cette statue sur la place Saint-Augustin à Paris (8ème arrondissement). Strasbourg en accueille une dans les Jardins du Palais du Rhin (inaugurée le 14 juillet 1922). La statue est jetée à terre en 1941, cachée pendant le reste de la guerre, bien que brisée en plusieurs endroits. Remise en état par un fondeur parisien s’aidant de celle de Paris et de Reims, la statue est réparée et elle est à nouveau érigée le 8 mai 1965 place Arnold, sur le parvis de l’église saint-Maurice. Aujourd’hui, suite à des travaux, elle a été déplacée du côté sud de l’église.

Enfin, on peut également l'admirer à Washington D. C., dans le Meridian Hill Park,  offerte par le Lyceum des Femmes de France aux femmes des Etats-Unis d’Amérique en janvier 1922. L’inauguration du monument se fait en présence du président Harding, et de l’ambassadeur de France, le 6 janvier 1923.Depuis 1978, Jeanne d’Arc ne brandit plus son épée, celle-ci ayant été volée.

[1] L’Académie rémoise avait retenu Paul DUBOIS en raison de sa grande notoriété, mais aussi en sa qualité de directeur de l’École Nationale des Beaux-Arts.

[2] Jules MICHELET (1798 – 1874) professeur d’Histoire au Collège de France et archiviste, il rédige, à partir de 1833, une Histoire de France (qui comportera 19 tomes) basée sur une documentation rigoureuse qui marque le début d’une nouvelle ère dans l’historiographie française. Son œuvre historique, très importante, toujours basée sur des faits historiques vérifiés, est rédigée avec la verve du conteur dans un grand élan romanesque avec parfois quelques erreurs historiques et mythes qui marquent aujourd’hui encore notre vision de l’Histoire de France.

[3] Elle inspira même le grand Verdi, qui créa sa Giovanna d’Arco à la Scala de Milan en 1845 ; Charles GOUNOD compose une musique de scène pour le drame en 5 actes de Jules Barbier, Jeanne d’Arc, crée au Théâtre de la Gaité le 8 novembre 1873 ; l’opéra éponyme d’Auguste Mermet est créé en 1876 tandis que le compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski crée à Saint Pétersbourg le 25 février 1881, sur un poème de Schiller, un opéra en 4 actes et 6 scènes La Pucelle d’Orléans.

[4] Marie d’Orléans (1813-1839) deuxième fille du roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie de Bourbon. Élève d’Ary Scheffer et de David d’Angers, elle sculpta des bustes et des statuettes, marqués par le romantisme néo-gothique.

[5] Paul Déroulède, Nouveaux Chants du Soldats, Paris M. Levy 1875.

[6] Introduction au Livre 5, consacré à Jeanne d’Arc, de Jules Michelet.

[7] Au sujet de la Jeanne d’Arc de la Place des Pyramides, d’Emmanuel Frémiet, voir l’article Emmanuel Frémiet, maître imagier, dans le blog d’Art & d’Histoire de la Galerie Les Trésors de Gamaliel

[8] Déclarée Vénérable le 27 janvier 1894, puis Bienheureuse le 18 avril 1909, elle est canonisée le 16 mai 1920. Le 2 mars 1922, elle est proclamée Patronne de la France.

[9] Épître aux Éphésiens 6,18

[10] Paul Dubois peintre et sculpteur 1829-1905. Françoise P.-D. du Castel, Editions du Scorpion, Paris 1964, page 165

[11] Edmond GRUET exécutera aussi les deux autres exemplaires de la statue avec la technique de la fonte au sable, l’une installée place Saint-Augustin à Paris, l’autre à Strasbourg, sur le parvis de l’église Saint-Maurice.

[12] Y embarquent avec le Président de la République, le Président du Conseil, Jules Méline, et le Ministre de la Guerre, le général Jean-Baptiste Billot, ainsi que d’autres personnalités politiques.

[13] Il y reçoit les corps constitués, distribue des décorations et y préside un déjeuner de 32 couverts.

[14] À l’entrée de la rue Colbert, notamment, se dressait un Arc de Triomphe composé de bicyclettes, œuvre du Bicycle-Club Rémoise.

[15] La cérémonie d’inauguration autour de la statue ne dura pas plus d’une heure.

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