Un avenir tout tracé
Paul DUBOIS est né rue des Juifs[1] au cœur de la paisible petite bourgade auboise de Nogent-sur-Seine, au cœur de l’été 1829, le 18 juillet.
François DUBOIS[2], son père exerce l'honorable fonction de Notaire Royal. Bien établi en sa cité, il en a été le maire de nombreuses années durant. Il envoie son fils à Paris, au lycée Louis le Grand. Élève intelligent et studieux, le jeune Paul rate néanmoins sa préparation à l’École polytechnique, ayant été fort maladie juste à ce moment-là. C’est donc à la Faculté de Droit qu’il se retrouve inscrit. Après tout, bon sang ne saurait mentir !
Quoique… Car si le jeune Paul réussit ses études de droit, il ne s’y sent aucune vocation. Avec l’accord bienveillant de son père, il lâche le droit pour se consacrer à … la musique ! À la composition musicale, plus précisément. Mais si son amour de la musique est indubitable, son talent l’est beaucoup moins. Avec tristesse, il abandonne ce domaine, qui apportait pourtant tant de douceur à son âme. La musique sera cependant très présente dans sa vie, lui apportant de grandes émotions, et de belles amitiés.
Du côté maternel de sa grand-mère, Aglaé Sophie PIGALLE, le jeune Paul compte un arrière grand-oncle, Jean-Baptiste PIGALLE[3], sculpteur dont la renommée parisienne auréole encore de gloire la famille Dubois. Sans doute influencé par cet oncle lointain, Paul Dubois s’oriente vers la sculpture.
Un avenir enfin révélé
Cette fois, le talent se révèle. Dans l’atelier d’Armand TOUSSAINT[4], en silence, il dessine, modèle avec patience et passion. Paul DUBOIS apprécie ces années où il s’initie à la sculpture aux côtés de cet excellent homme et remarquable professeur. Encouragé par son Maître, il expose, pour la première fois, au Salon de 1857. On le trouve alors dans les catalogues sous le nom de DUBOIS-PIGALLE.
L’année suivante[5], il intègre l’École des Beaux-arts, mais réalisant qu’il est atteint par la limite d’âge (il va sur ses 30 ans) pour se présenter au Grand Prix de Rome, il ne trouve pas d’intérêt à y poursuivre sa formation, et quitte l’École au bout de quelques mois. Ne pouvant aller étudier les sculptures antiques et celles de la Renaissance par ce biais, notre jeune sculpteur s’y rend par ses propres moyens. Sans rancune pour ces changements d’orientations professionnelles, François DUBOIS alloue à son fils une généreuse pension qui lui permet de s’installer à Rome.
Les années italiennes
Notre jeune artistes hante la Villa Médicis, même s’il n’y est pas en résidence. Il y rencontre les sculpteurs Henri CHAPU et Alexandre FALGUIÈRE, le peintre de paysage Jules DIDIER, les compositeurs Émile PALADILHE et Georges BIZET avec qui il tisse d’indéfectibles liens que seule la mort dénouera.
Henri CHAPU Alexandre Falguière Jules Didier
Avec eux, il passe des heures voire des journées entières au Musée du Vatican, à observer, croquer, dessiner, méditer, observer, réfléchir, assimiler. À Florence, Sienne, Venise, Orvieto, Assise, Milan, Bologne, Pise ou Naples, il s’imprègne des Primitifs italiens, et de la sculpture de la Renaissance italienne qui marqueront toute son œuvre. Son envoi de 1863 au Salon, un Narcisse et un Saint Jean-Baptiste enfant, qui révèle son inspiration à la fois helléniste et italienne lui vaut immédiatement une renommée qui ne se démentira jamais.
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[1] Cette rue sera rebaptisée par la municipalité du nom de l’artiste, de son vivant même.
[2] François Antoine DUBOIS était né en 1798 et mourut en 1868. Il avait épousé en août 1825 Claudine Sophie GUILLAUME, fille de François GUILLAUME et Sophie-AGLAÉ PIGALLE. En 1834, alors qu’elle n’avait que 34 ans, Claudine Sophie mourait, laissant à son époux deux jeunes enfants, Louise, âgée de 8 ans, et Paul, de 5 ans.
[3] Jean-t que l’on peut admirer dans l’abside de l’église Saint-Eustache à Paris, une statue monumentale Madame de Pompadour en amitié, un Mercure rattachant ses talonnières, un buste en bronze de Diderot, un VoltairBaptiste PIGALLE, 1714 – 1785, sculpteur à la charnière du Baroque et du Classicisme, il a produit de très nombreuses œuvres tel le tombeau du comte d’Harcourt en la cathédrale Notre-Dame, une Vierge à l’Enfane nu grandeur nature œuvre qui occasionna un effroyable (mais ô combien délicieux) scandale …
[4] Armand TOUSSAINT, né à Paris en 1806 où il meurt en 1862, se forme à l’École des Beaux-Arts dans l’atelier de David d’ANGERS. Second Grand Prix de Rome, il devient à son tour professeur aux Beaux-Arts. Sous la direction de son condisciple, le sculpteur et orfèvre Victor GEOFFROY-DECHAUME (1816-1892), il avait participé à la restauration des statues détruites lors de la Révolution française de la cathédrale Notre-Dame de Paris ainsi que de celle de Tours avec d’autres sculpteurs, notamment Jules CAVELIER.Sur la façade de l’aile Mollien du palais du Louvre, on peut admirer de lui, un Libéral Bruant monumental, un Christ en Croix, bas-relief en pierre, portail de l’église Sainte Clotilde, un buste de David d’Angers, un Christ montrant ses plaies, haut relief toujours pour Sainte-Clotilde, un Génie de la Force pour l’aile Daru du Palais du Louvre…
[5 1858
L'atelier de la rue d'Assas
Le 21 décembre 1863, revenu de son séjour italien, Paul DUBOIS épouse Henriette PELLETIER[6], issue de la bourgeoisie chartraine par sa mère, Adélaïde LEVASSOR d’ORMOY, et dont le père, Alphonse PELLETIER, dirige l’Administration Générale de la Préfecture de la Seine.
Le jeune couple s’installe dans un petit logis du boulevard Saint-Michel, au coin de la rue Soufflot. Le matin, Paul DUBOIS traverse le Jardin du Luxembourg d’un pas vif pour gagner son atelier du 68 de la rue d’Assas. Il y passe la journée, travaillant dans le calme et la sérénité. Il préfère la cire à l’argile, pour sa plus grande souplesse. Il est très exigeant et très difficilement satisfait de lui-même, il n’hésite pas à recommencer encore et encore. Et plus le temps passe, plus son degré d’exigence augmente. Il lui arrive de prendre l’avis de l’un de ses confrères et amis, mais finalement, il en revient toujours à son idée première.
La famille ne tarde pas à s’agrandir, d’un petit garçon, baptisé Paul[7] comme son Papa, et quelques années plus tard[8], d’un second garçon, Louis.
[6] Louise Henriette PELLETIER était née à Paris le 10 août 1842. Elle ne survit à son époux que quelques années et s’éteint à Paris 7ème le 9 février 1909.
[7] Paul François est né à Paris le 27 décembre 1864 et mourra en 1953. Polytechnicien, ingénieur des Ponts-et-chaussés il finira sa carrière en dirigeant la Compagnie des Chemins de Fer d’Orléans. Il épousa en 1896 Louise Cavaignac
[8] Le 27 octobre 1868. Il mourra le 27 décembre 1938 à Paris. Il épousa en 1896 Geneviève Taine. Entré à la Cour des Comptes, il interrompt une prometteuse carrière administrative en 1909, perdant cette année-là et sa femme et sa mère, mais collabore, en tant qu’historien à la Revue des Deux-Mondes.
Les Théories de la palette
Souvent, Paul DUBOIS se rend chez son camarade HENNER[9] qui lui enseigne les théories de la palette. Il crayonne depuis longtemps, et à même déjà présenté des dessins au Salon, mais il lui manque la couleur…
- « La peinture, affirme le peintre, temante avant tout des qualités te peintre. Les qualités te sentiments, ou t’idées, ou te philosophie, ne fiennent qu’après. T’ailleurs, enchaine-t-il de sa grosse voix à l’accent alsacien si marqué, chaque peintre toit troufer lui-même son procété, et choisir ses couleurs. C’est cette invention personnelle qui rend l’art intéressant ! »
Quand l’œil pénétrant, le sourire railleur, il gratte sa barbe devant la toile sur laquelle se concentre Paul Dubois en marmonnant :
- « C’est très pien ! O que c’est tur, la peinture ! »
Notre sculpteur sait que le travail n’est pas bon. Alors inlassablement, et toujours en silence, il recommence jusqu’à enfin entendre un tonitruant :
Ça, c’est pien !!
[9] Jean-Jacques HENNER, 1829 – 1905, cet alsacien né de parents cultivateurs choisira, après 1871, de devenir français, mais n’oubliera jamais sa région d’enfance avec laquelle il gardera un lien très étroit. Au demeurant, son fort accent alsacien, qui régale ses amis, ne lui permettra jamais de renier ses origines, si tant est qu’il en avait éprouvé l’envie ! Grand Prix de Rome de peinture en 1858, il séjourne cinq ans à la Villa Médicis où il se lie d’amitié avec Alexandre Falguière, Jules Didier, Henri Chapu, Émile Paladilhe et Paul Dubois. Portraitiste recherché, il est élu à l’Institut en 1889, et reçoit, en 1903 la Grand Croix de la Légion d’Honneur. Avec son ami Carolus-Duran, il avait organisé, de 1874 à 1889 l’atelier des Dames, offrant ainsi aux femmes refusées par l’École des Beaux-Arts, de pouvoir suivre un enseignement artistique.
Le Chanteur Florentin, un best-seller
Inspiré de son long séjour italien, le Chanteur Florentin du XVème siècle, qu’il présente, en plâtre, au Salon de 1865, sous le numéro 2957, scelle définitivement sa renommée. D’une grande finesse, dans sa pose au déhanché sans apprêt, tellement évocateur d’une Renaissance florentine munificente, la statuette est accueillie avec enthousiasme par le public. Paul DUBOIS reçoit sa première médaille d’Honneur.
Paul Dubois n’aime guère ni les honneurs, ni les manifestations publiques. Il préfère travailler dans le silence de son atelier, au demeurant plutôt spartiate. Entre 1867 et 1872, il n’éprouve pas le besoin de présenter l'une ou l’autre de ses sculptures ou dessins. Non qu’il n’ait rien produit… mais les évènements de la vie le malmènent quelque peu, et il préfère se concentrer sur l’essentiel.
En 1868, le décès de son père le bouleverse. L’intensité douloureuse de ses sentiments trouvent son expression dans sa sculpture LA DOULEUR, hommage du fils au père, et qui orne désormais le tombeau paternel du cimetière de Nogent-sur-Seine… Alors que le temps fait subrepticement son oeuvre, il apprend, avec la stupeur la plus totale, alors qu’il est en Bretagne, l’avancée invincible et destructrice des Prussiens vers la capitale. Il fait sien le vers de l’Ardennais philosophe et historien, son ami Hippolyte TAINE (1828 – 1893), mon âme n’est qu’une plaie tout en s’étonnant, je ne savais pas que l’on tenait tant à sa Patrie !
Paul Dubois le peintre
Les contingences matérielles étant ce qu’elles sont, il faut bien parfois sortir de sa retraite pour regonfler un peu le compte en banque familial qui souffre un peu, car au final, la grande statuaire coûte plus qu’elle ne rapporte ! En 1873, Paul Dubois reprend donc le chemin des Salons. Il y présente un plâtre, ÉVE NAISSANTE, et, pour la toute première fois, deux portraits. Lui qui taquine la peinture aux côtés du camarade Jean-Jacques HENNER depuis si longtemps, l’heure est venue de se lancer ! Il peint depuis un grand moment déjà l’entourage familial, sa femme, ses belles-sœurs, ses amis proches. Les choses se sachant, le cercle s’agrandit. Tranquillement la renommée fait son œuvre, déclenchant de nombreuses commandes qui seront boostées par les Salons.
Mes Enfants
Au Salon de 1876, Paul DUBOIS expose à la fois des peintures, un portrait de femme, et une importante toile appelée MES ENFANTS et des sculptures, LE COURAGE MILITAIRE et LA CHARITE, statue monumentale en plâtre, destinées au cénotaphe du général de Lamoricière.
Attardons-nous un instant sur sa toile MES ENFANTS. Comme son nom l’indique, elle représente l’aîné de ses enfants, Paul, en veste, culotte de velours noir, bas bruns et souliers vernis noirs. Il tient délicatement la menotte de son cadet, Louis, vêtu d’une robe claire ceinturée de rose vif, chaussettes aux mollets et vernis noirs. Appréciée du public, ce tableau exprime la fierté toute paternelle d’un éducateur attentif et exigeant Soyez les premiers en tout, conseille-t-il à ses fils, ce qui, dit en passant, fut entendu ! Les critiques, eux, y ont reconnu une certaine influence du peintre espagnol Diego VELÁSQUEZ (1599-1660).
Les portraits de Paul Dubois sont appréciés, tant en peinture qu’en sculpture. Il produisit dans toute sa carrière une bonne cinquantaine de bustes, et plus d’une centaine de portraits, tous de très belle facture.
Le cénotaphe du général de Lamoricière
Revenons sur le grand projet du moment du sculpteur, qui lui a permis d’exposer ces deux statues monumentales au Salon de 1876. Destiné à la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes, cénotaphe du Général de Lamoricière présentera quatre statues grandeur nature représentant les Vertus : LA CHARITÉ, jeune femme allaitant l’un de ses bébés l’autre étant déjà repus enfants ; LA SAGESSE, représentant un vieux philosophe plongé dans ses réflexions ; LA FOI, incarnée par une jeune fille aux mains jointes, à demi dressée dans un mouvement de ferveur extatique ; et enfin LE COURAGE MILITAIRE figurant un guerrier en armes. Les plans ont été dessiné par l’architecte Louis BOITTE.
Créations hors de pair, écrit le critique Jules CLARÉTIE[10] à propos de ces statues, dignes d’un grand artiste de la Renaissance. Il a la foi et il travaille sans fracas, poursuit-il, comme il a triomphé.
LA CHARITÉ et le COURAGE MILITAIRE valent à notre artiste une nouvelle Médaille d’Honneur. LA CHARITÉ, figure maternelle pleine de tendresse rencontre un vrai succès, et les éditions en seront très nombreuses.
[10] In L’Art et les Artistes français contemporains : avec un avant-propos sur le Salon de 1876 de Jules Clarétie. Page 73
Paul Dubois directeur de l'École des Beaux-Arts
Paul DUBOIS est un homme fort occupé. Il dirige depuis 1873 les collections du Musée du Luxembourg, premier musée d’Europe à ne présentées que des collections d’artistes vivants. Trois ans plus tard, le voilà qui rejoint les 62 membres de l’Académie des Beaux-Arts[11]. Sur ses temps de vacances, qui ne sont jamais vraiment des vacances, ou pour des missions officielles, notre sculpteur, accompagné ou non de son épouse et de ses fils, parcourt la France et l’Europe. Toujours insatiable, il explore les musées, passant des heures en contemplation devant les diverses collections. Il note dans ses calepins toute technique, tout détail, tout procédé, toute méthode, tout savoir-faire aussi susceptibles de le perfectionner.
1878 est une date importante dans la vie de Paul DUBOIS : il prend la direction de l’École des Beaux-Arts[12]. Les artistes doivent par leurs œuvres contribuer à propager la morale, c’est l’art qui élève notre esprit au-dessus de la terre, et le transporte jusqu’au ciel, exprime-t-il à propos de sa nouvelle fonction.
Abordant sa nouvelle fonction avec une grande humilité, il n’a de cesse de répéter à ses élèves, tel un mantra, travaillez opiniâtrement, car, poursuit-il, si le génie suppose des dons naturels, ce serait une grave erreur de croire qu’il n’exige rien de la volonté, ni de la raison. Dites-vous que vous êtes toujours en route. Dites-vous que vous êtes encore loin… Maintenez vos pensées sur les hauteurs, proposez-vous de n’exprimer que de nobles idées et de chercher pour les rendre des formes belles et pures. L’art, c’est la poésie. N’abandonnez pas ce mot si plein de sens aux seuls écrivains. S’il désigne ce qui charme le cœur et ennoblit l’âme, il nous appartient aussi bien qu’aux poètes. […] Restez fidèles à ce beau vers de Plutarque : Levan di terra al ciel nostr’ intelletto… L’art élève notre esprit au-dessus de la terre et le transporte jusqu’au ciel.[13]
Paul DUBOIS dispose désormais d’un magnifique atelier dans les locaux même de l’École. Moins austère que son atelier particulier, il est vaste et éclairé par la lumière du jardin qui se réfléchit dans une grande glace murale, il offre au regard de nombreuses sellettes sur lesquelles trônent des ébauches, des chevalets supportant des portraits en cours. Sur une commode, trainent l’ébauchoir, le ciseau et autres outils de sculpteur. De-ci de-là jaillissant des bouquets de pinceaux de vases pansus posés sur une table Henri II. Aux murs, des modèles antiques reflètent la passion du maître pour l’art classique. Quelques fauteuils d’osier s’offrent aux visiteurs, qui, nombreux, viennent pour quelques conseils. Sur le coffre orné d’une Vénus sculptée par le Maître lui-même, une pendule Boulle égrène sereinement le temps qui passe.
[11] Il en restera le directeur jusqu’à sa mort le 23 mai 1905.
[12] Séance de l’Académie des Beaux-Arts – 29 octobre 1892
[13] Paul DUBOIS est élu le 30 décembre 1876 à l’Académie des Beaux-Arts, Institut de France, au fauteuil du sculpteur Jean PERRAUD, né le 26 avril 1819, élu à ce même fauteuil le 30 décembre 1865, et décédé le 2 novembre 1876.
Le salon d'Henriette Dubois
À la fin du jour, de retour au foyer familial, après un souper roboratif, le sculpteur s’assoie enfin dans son fauteuil en velours broché, dont l’un des bras est équipé d’un pupitre lui servant à pendre des notes, crayonner quelque croquis ou lire une partition… Ses soirées ne sont pas dédiées seulement à la détente, c’est bien souvent le moment où il peut se consacrer sans être déranger, aux tâches administratives de l’École des Beaux-Arts ou du Musée du Luxembourg.
Mais le samedi soir, c’est relâche. Henriette ouvre sa table, et les amis s’y pressent. La nourriture est succulente, et les conversations de haut vol. L’on y retrouve les Romains, ces indéfectibles amis avec qui les liens se sont tissés lors du séjour à la villa Médicis : Émile PALADILHE, Georges BIZET, Jules DIDIER et Alexandre FALGUIERE, et quelques autres à l’amitié précieuse. Souvent, les causeries se poursuivent au salon.
Émile PALADILHE se met piano, et d’une voix qui n’est pas le meilleur de ses atouts musicaux, entonne des mélodies à la mode que tous reprennent. Puis il cède la place à Charles LENEPVEU qui accompagne au piano le violoniste virtuose Albert GELOSO[14]. C’est avec émotion profonde, se souvient le peintre Léon BONNAT, fidèle parmi les fidèles des soirées du samedi[15], que l’on écoutait religieusement du Mozart ou du Beethoven admirablement exécutés tandis que dans la pénombre Jeanne d’Arc brandissait son épée. […] Le Génie de la Patrie planait sur nous tous, conclut avec une modestie toute relative le peintre. Paul Dubois, lui, ne garde de ces moments-là que les souvenirs musicaux : La mélodie élève l’âme au-dessus de la terre.
Le dimanche est consacré aux enfants, Paul et Louis. Jusqu’à ce que, dans l’après-midi ne résonne le carillon d’entrée annonçant amis et connaissances qui s’invitent : les musiciens Camille SAINT-SAËNS et Charles GOUNOD, le peintre Gustave MOREAU, les décorateurs de l’Opéra Paul BAUDRY et Jules-Elie DELAUNAY. Viennent aussi Charles GARNIER, l’architecte de ce même opéra, ainsi que le philosophe et historien Hippolyte TAINE[16], un auteur dramatiquement dramatique et académicien fort à la mode, Ernest LEGOUVÉ, le brillant chirurgien Odilon LANNELONGUE et sa bonne épouse et philanthrope, Marie LANNELONGUE, le pédiatre Jules PARROT, un érudit brillant, Abel BERGAIGNE immense connaisseur de la langue sanskrite, l’astronome Jules JANSSEN, l’éminent pionnier de la pédiatrie Marie-Jules PARROT, ou encore un truculent vice-amiral, Gustave BESNARD[17] qui entre deux campagnes régale l’assistance d’anecdotes maritimes.
[14] Albert GÉLOSO est né le 11 juillet 1863 à Madrid et meurt à Paris le 23 février 1916. Violoniste virtuose, il est premier violon solo dans l’Orchestre Lamoureux, ainsi qu’aux Concerts Berlioz.
[15] Discours prononcé lors des funérailles de Paul DUBOIS, le 23 mai 1905
[16] Quelques années plus tard, Geneviève TAINE, la fille d’Hippolyte, quelques années plus tard Louis, épousa Louis, le fils cadet de Paul et Henriette DUBOIS.
[17] Gustave BESNARD finira sa carrière au poste de Ministre de la marine dans les cabinets Ribot et Méline, mais alors, personne ne le savait encore !
Des ébauches et un chef d'oeuvre
En 1886, la grande aventure de Jeanne d’Arc, dont nous suivrons les palpitantes péripéties plus loin, commence pour ne s’achever véritablement qu’après l’inauguration rémoise du 14 juillet 1896.
Sans que cela n’y change grand-chose, le 19ème siècle s’efface devant le 20ème. Dans le tourbillon de la vie où les commandes abondent, les responsabilités commencent à peser sur les épaules de notre sculpteur. Le soir, Paul DUBOIS fatigue, et plus en plus, tout en douceur, Henriette lui retire un livre, un ébauchoir ou un crayon des mains lorsqu’elle s’aperçoit que ses yeux sont trop fatigués, que sa main moins sure, que ses yeux se ferment malgré lui…
Les idées se bousculent toujours, et le sculpteur ébauche un MARCEAU, en dolman et shako de chasseur républicain, ou encore un jeune HOCHE à l’allure à la fois gracieuse et guerrière, quand ce n’est pas un KELLERMANN à cheval, en uniforme Directoire, un GASTON DE FOIX, ou un grand CONDÉ… autant de de sculptures effleurées qui n’iront jamais jusqu’à leur aboutissement.
SOUVENIR est sa dernière œuvre. Encore profondément marqué par la cuisante défaite de 1871, notre sculpteur veut un monument dédié à la France, certes vaincue, mais ô combien vivante. Le projet est complexe, et il élabore dans un premier temps un groupe, qu’il baptise SOUVENIR[18].
Jules DUBOIS sculpte deux douloureuses jeunes filles serrées l’une contre l’autre, le regard obstinément tourné vers l’avenir. L’une, arborant la coiffe traditionnelle coiffe alsacienne, la Schlùpfkàppe représentent, on s’en doute, l’Alsace. La seconde, la Lorraine, se blottit contre la première, le regard résolu perdu au loin, semble en proie au doute et a un grand chagrin. Paul DUBOIS met son âme, et celle de la France dans cette oeuvre qui transcrit dans la cire le poème de son ami Albert Sorel,
- Ô ma sœur que regardes-tu,
L’œil ainsi tourné vers la France ?
- J’attends l’heure de délivrance…
- Ma sœur, je n’ai pas ta vertu !
- Vaillante fille à ta main tendre,
- Les fers sont trop durs et trop lourds !
- Mais il faut attendre toujours…
- Je ne veux pas toujours attendre !
Après la mort du sculpteur, sa famille offrit, à la ville de Nancy, ce groupe que l’un de ses fils définit alors comme le testament à la fois d’artiste et de patriote du sculpteur.
Alors que Paris brille de son premier soleil printanier, une pneumonie couche le Maître dans son lit de Damas. Son état se dégrade peu à peu. Désormais, sa respiration est sifflante, son esprit constamment embrumé par une trop forte fièvre. Au petit matin du 23 mai 1905, son cœur finit par céder. Le Maître aurait eu 76 ans un peu plus de deux mois plus tard…
[18] Le monument ne verra jamais le jour, et ce groupe, SOUVENIR, en sera le seul qui sera réalisé et achevé. De nombreuses éditions en bronze et en plâtre, de taille réduite, seront éditées.
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