Emmanuel Frémiet est né le 6 décembre 1824 dans une vieille famille bourguignonne.
De caractère difficile, et insatisfait chronique, son père, Théophile-Auguste Frémiet, ouvrier graveur n’est pas tendre avec son fils. Ayant ardemment préparé sa Première Communion, le jeune Emmanuel se voit empêché de la faire par son père, au motif qu’il ne pouvait pas le vêtir avec le faste nécessaire... Puis un jour, Auguste Frémiet décide de quitter son épouse. Il part en emmenant son jeune fils, Charles.
Le jeune Emmanuel reste seul avec sa mère, Joséphine Frochot, et ne sera jamais en manque de tendresse, d’encouragements, de soutien indéfectible. En retour, il lui voue une affection et une admiration sans borne.
Emmanuel Frémiet a tout juste 8 ans lorsqu’une cousine de son père, Sophie Rude, née Frémiet (1797-1867), lui enseigne le dessin. Les leçons ayant profité, à 13 ans, il est admis au sein de la prestigieuse École des Arts Décoratifs d’où il sort trois ans plus tard pour intégrer l’atelier de Jacques-Christophe Werner (1798 – 1856), peintre officiel du Muséum d’Histoire Naturelle du Jardin des Plantes.
Très attiré par la sculpture, le jeune Emmanuel se met à modeler. Détectant chez lui d’incontestables capacités artistiques, François Rude, le mari de Sophie Frémiet, sculpteur, les lui ouvre les portes de son atelier.
Sophie Rude Frémiet
Autoportrait 1841
François Rude
par Sophie Frémiet
François Rude (1784-1855) possède une personnalité hors du commun, et une réputation immense encore renforcée dans les année1833-1836, par la création de son bas-relief qui orne la façade Est de la pile Nord de l’Arc de Triomphe : le Départ des Volontaires de 1792 (ou Chant du Départ), cette Marseillaise de pierre.
Le jeune garçon pénètre, avec respect et un profond bonheur, dans l’univers du Maître Rude. Tous les jours, à peine sorti de chez Jacques-Christophe Werner, le jeune Emmanuel court jusqu’à l’atelier de la rue d’Enfer, où il travaille la glaise avec courage, acharnement et passion, jusqu’à très tard dans la soirée.
Emmanuel Frémiet a énormément reçu de François Rude, à qui il voue une admiration quasi filiale, admiration qui se prolongea jusqu’à la propre mort d’Emmanuel Frémiet. Pas un de ses succès qu’il n’attribuait à son Maître.
« Ah, Rude ! s’exclamait-il avec des trémolos dans la voix, lorsqu’il était interrogé sur son maître, avec quelle admirable générosité il se dépensait pour ses élèves ! Il payait de sa personne, ne ménageait point ses conseils et ses méthodes. Et lui-même, quel frissonnement d’enthousiasme ! ce bas-relief de l’Arc de Triomphe, c’est irréprochable et c’est accablant ! »1 « C’est à lui que je dois tout » ajoutait-il ensuite avec émotion.
Pour aider aux finances familiales, il réalise pour le Musée Orfila, pour 15 Francs par mois, des planches lithographiques pour le professeur de Blainville. C’est ainsi que rapidement l’ostéologie n’a plus de secret pour lui. Il est aussi chargé par le Musée d’Anatomie d’exécuter les moulages des écorchés puis ensuite de les peindre. Ce travail particulier le dispense de passer cinq ans sous le drapeau.
Son premier envoi au Salon, en 1843, est une Gazelle. Il obtient sa première récompense au Salon de 1849, pour Matador et Une Famille de Chats que l’Empereur achète (aujourd’hui perdue). En 1851, le Chien blessé, d’une simplicité si juste, est acheté pour le Musée du Luxembourg.
Durant cette période (1843-1860 environ), il sculpte ces animaux qui lui vaudront sa réputation, non pas usurpée, mais tout au moins incomplète, de sculpteur animalier.
Quelques animaux exotiques pour une majorité d’animaux domestiques, séries d’amusants petits bronzes qui trahissent son amour du règne animal. Un règne animal qu’il contemple, observe, étudie au quotidien, dans l’intimité de son foyer, ou à la Ménagerie du Jardin des Plantes.
Emmanuel Frémiet aime les chevaux. Il ne se lasse pas de les examiner. Et il les sculpte.
Nus, harnachés, montés ou libres, sains ou même malades, chevaux de guerre, chevaux de halage, de labour ou chevaux de luxe, piaffant ou au repos, encensant ou en attitude…
Frémiet a rendu un véritable hommage aux équidés, à tous les équidés.
S’il aimait les chevaux, il aimait aussi les chiens, le plus attirant des animaux domestiques.
Animal intelligent, affectueux et intime avec l’homme.
Il reproduit un véritable chenil dans toutes ses races et ses attitudes.
Que dire des chats ?!
Ces « tigres de poche », à la fois domestiques et féroces…
Il les a sculptés dans toute la béatitude de leur bien-être, dans leur souplesse féline, dans la drôlerie de leurs jeux.
Dans les apprêts de leur toilette aussi, et sans concession, dans l’atrocité de certains de leurs instincts, mais toujours avec une immense tendresse et espièglerie.
Face au succès remporté par ses sculptures, Emmanuel Frémiet s’associe avec un petit bronzier, installé non loin de chez lui, Charles More, avec qui il travaille pendant plus de 30 ans. Il lui arrive également de travailler avec le fondeur Eugène Gonon. Il édite ainsi lui-même ses œuvres en bronze. Pour les écouler, il ouvre boutique, au 42 de la rue du Temple, à Paris, que tient sa femme, Marie-Adélaïde Ricourt (1837-1915).
Marie Adélaïde Frémiet, née Ricourt
MArie et Emmanuel Frémiet ont deux filles, Marie (1856-1926) et Emma (1858-1940). Marie épouse, en 1883, Gabriel Fauré, le compositeur et Emma, Paul Levasseur, l'un des ingénieurs du Canal de Suez.
Marie Fauré-Frémiet et Gabriel Fauré
Emmanuel Frémiet supervise la fonte de ses bronzes. Il utilise une technique encore assez peu répandue, la technique de la cire perdue.
Cette technique offre des bronzes d’une grande qualité.
Après sa mort (1910), la maison Barbedienne rachète les droits sur ses œuvres, et les édite jusqu’aux premiers jours de la Grande Guerre aux côtés des sculptures d'artistes non moins célèbres que lui , François Rude, Henri Chapu, Auguste Rodin …
De haute taille, un peu maigre, un visage calme et peu mobile, toujours impeccablement vêtu, d’une réserve à la limite de l’austérité, Emmanuel Frémiet cultive la discrétion et la modestie ainsi qu’une grande discipline morale. Il est la simplicité même. L’œil pétillant derrière son monocle puis à mesure que passe le temps, derrière ses lunettes à la Chardin, il est plein d’esprit et de malicieuse bonté.
Le contraire de cabotin, il ne se livre jamais au public autrement qu’au travers de ses œuvres. Pas de bavardages, juste un travail considérable produisant de magnifiques sculptures. Gustave Larroumet (1852-1903), historien d’art qui le fréquente à l’Institut (Emmanuel Frémiet y entre en 1892) dit de lui que, « le premier abord est plutôt froid, et sa parole ne va pas au-devant de la curiosité ; très poli, il risque de laisser, à qui le connaît peu, l’impression d’un timide et d’un silencieux. Cette réserve n’est que respect de soi-même : lorsqu’elle n’a pas lieu de s’exercer, dans l’intimité confraternelle par exemple, elle fait place à une courtoisie confiante. Alors il répond volontiers, si on l’interroge, et il raconte sa vie avec un tour savoureux d’ironie bienveillante et de modestie tranquille. »
Emmanuel Frémiet
La carrière et la célébrité de notre sculpteur prend un tournant après l’inauguration, place des Pyramides, en 1874, de sa statue équestre monumentale de Jeanne d’Arc. Pas encore béatifiée, Jeanne d'Arc est alors une héroïne pour les Français. Jusqu’alors connu comme sculpteur animalier de génie, Emmanuel Frémiet est considéré comme l’égal de celui qui a tant marqué ce genre, le grand maître Antoine-Louis Barye (1795-1875). La renommée qui lui attire sa Jeanne d’Arc lui offre à son entrée dans la cour des grands de la sculpture monumentale.
C’est son maître François Rude qui l’inspire et lui donne le courage de se lancer dans cette réalisation monumentale. François Rude avait en son temps, exucutée une magnifique Jeanne d'Arc écoutant les voix de saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite lui ordonner d'aller délivrer la France des Anglais.
Jeanne d'Arc écoutant ses voix
François Rude
Commande du roi Louis-Philippe en 1845, présentée au Salon de 1852
Marbre, 2,27 X 0,98, 0,79 mètres, Musée du Louvre
« Jeanne d’Arc fut une de mes premières commandes importantes d’après la guerre. Le sujet me passionnait, pour l’émotion de rendre d’abord, puis pour la vérité historique à dire. Jusqu’à là, on ne connaissait que l’archifausse Jeanne d’Arc à pourpoint et à toque à créneaux. Le document qui me servit le plus, le seul presque, fut la tapisserie du musée d’Orléans (…). Au point de vue de la monture, tous les documents graphiques sur les guerres d’alors me furent d’une grande aide. On a critiqué -oh ! ce fut un déchainement en 1874 ! – la robustesse du cheval. Mais tous les gens d’armes, le roi tout le premier, montaient d’énormes bêtes, des chevaux d’omnibus, oui, de ces gros chevaux d’omnibus à museau rose. Rien d’étonnant à ce que la guerrière, rendue svelte encore par les lignes élancées de l’armure, paraît petite et frêle. J’avais été trouver Carpeaux, lui disant ce qu’était la vérité, et lui demandant s’il fallait la faire. Il fut très embarrassé pour se prononcer. Et bien tant pis me dis-je, mon Maître m’aurait dit de m’attacher à la vérité avant tout. Oui, Rude m’aurait répondu cela. Je me déterminai donc. Et, depuis le public a compris et accepté. »2
Le Second Empire aussi bien que la IIIème République lui adressent de nombreuses commandes.
Napoléon III lui commande, pour le château de Saint-Germain en Laye, le Cavalier Gaulois et son pendant, le Cavalier Romain (qui y sont toujours aujourd’hui).
La Troisième République lui achète la statue monumentale de Ferdinand de Lesseps, qui est inaugurée à Port-Saïd le 17 novembre 1899. Cette dernière, déboulonnée au moment de la Crise de Suez, le 24 décembre 1956, est restaurée par l'Association des Amis du Canal de Suez puis placée sur l'un des quais du chantier naval de Port Fouad, au débouché du Canal dans la Méditerranée, en 1987.
Il sculpta un Saint Michel terrassant le dragon, qui trône dans toute sa gloire en haut de la flèche de l’église du Mont Saint-Michel.
Il produit un Saint Georges, une statue équestre du duc d’Orléans pour le château de Pierrefonds que restaure Viollet-Le-Duc, un Etienne Marcel pour l’Hôtel de Ville de Paris, un Vélasquez à cheval, pour le Jardin de l’Infante au Louvre, un formidable Du Guesclin qui fait revivre la mâle figure du Connétable, un Homme de l’Âge de Pierre, les Chevaux Marins de la fontaine de l’Observatoire, un Rétiaire, et le Gorille enlevant une Femme, d’une si farouche bestialité qu’elle en répandit des litres d’encre en critiques en tout genre, qui pourtant lui valu une médaille d’honneur.
Maître imagier, pour reprendre l’expression de son biographe Jacques de Biez, Emmanuel Frémiet sculpte avec autant de talent les thèmes animaliers qui lui valent son immense renommée, que des thèmes plus militaires.
Il sculpte avec un bonheur et un humour qui transparaît dans chacune de ses œuvres les animaux, des petites bestioles, aux animaux sauvages tel le gorille, en passant par tout le petit monde des animaux domestiques.
Et il sculpte avec un bonheur non moins égal les thèmes militaires et historiques.
C'est ainsi que vers 1855, Emmanuel Frémiet sculpte une petite Vedette à cheval, qui plaît tant à Emilien de Nieuwerkerke (lui-même sculpteur mais aussi ministre de la Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts) qu’il la montre à l’Empereur. C'est ainsi que Napoléon III lui commande pour son fils, le prince impérial Louis-Napoléon, une suite de cinquante-cinq statuettes reproduisant toutes les armes de l'armée entre 1855 et 1864. Malheureusement, ces statuettes brulent lors de l'incendie des Tuileries du 23 mai 1871. Déclenché par une trentaine de fédérés fanatiques menés par un garçon boucher répondant au nom de Benot, le feu brûle trois jours et trois nuits durant, ravageant le palais. Les statues n’y résistent pas… Toutefois, certains moules n’ayant pas été détruits, quelques-unes de ces statues ont pu être ré-éditées.
Si d’aventure l'envie vous prenait de saluer ce grand bonhomme qui laissa à la postérité pas moins de 230 oeuvres, rendez vous en son fief du Jardin des Plantes. Au détour d’une allée, vous le verrez se dresser devant vous, silhouette longiligne élégamment vêtue, son visage allongé doté d’une abondante moustache finement taillée, le sourcil hérissé, concentré sur la sculpture qu’il est en train de réaliser.
Cette statue (1913) est l’œuvre du sculpteur Henri-Léon Gréber (1854-1941).
1 et 2 / Léon PLÉE, Frémiet, In Les Annales Politiques et Littéraires, 2ème année, n° 1421, 8 septembre 1910, page 281
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