Une enfance bucolique où coule la Seine
Henri Michel Antoine Chapu est né le dimanche 29 septembre 1833 au cœur de la Seine-et-Marne, dans le paisible petit village du Mée-sur-Seine, aux chaumières blotties autour de l’église de la Nativité. Tout proche de Melun, ses chaumières se blottissent contre son église de la Nativité, au pied d'une riante colline qui domine une Seine verte et limpide serpentant parmi les ajoncs, d'une plaine moissonneuse et d'un océan de verdure qui frémit jusqu’à Fontainebleau.
Julien Chapu 1811-1869, le père de l'artiste
est cocher pour le compte du Marquis Armand Pierre de Fraguier, riche propriétaire du Mée.
Médaillon en bronze d'Henri CHAPU, 1861
Petit Palais
Claire Chapu, née Lecoq (1804-1880), mère de l'artiste
est l'une des employées du chateau du Marquis de Fraguier
Huile sur Toile, circa 1861
Pierre Louis Joseph de CONINCK (1828-1910)
Musée de Melun
La tâche est ardue et ne laisse pas de répit à Julien et Claire Chapu. Ils n'ont guère d'autre choix que de placer leur nourrisson quelque temps chez des parents, non loin de chez eux. C'est ensuite à Michel Lecoq, un frère de Claire, qu'il le confie, et l'enfant va vivre à Thoiry.
Croquis par Henri Chapu de sa tante Lecoq, 1850
Il n'est pas malheureux à Thoiry, le jeune Henri. Il s'entend comme larron en foire avec son cousin. Certes, il est un peu forcé de fréquenter l’école communale avec son cousin. Juste un peu ! Car, de son propre aveu, n'étant pas le plus zélé des écoliers... et bien... il préfère de beaucoup fréquenter l’école buissonnière à la communale ! Quel bonheur pour le jeune garçon que d’arpenter les chemins, dénicher les nids d’oiseaux, taquiner la grenouille ou le goujon, tendre un collet, faire des ricochets dans l'eau vive de la rivière… Et si malgré tout, il devait se retrouver devant son pupitre, il aimait, au hasard de sa fantaisie, à crayonner choses et gens.
Alors qu’il a 10 ans, il rejoint ses parents au Mée où il poursuit avec bonheur et innoncence sa vie tranquille de petit gars de la campagne.
Profondément par ses années d'enfance, Henri Chapu n’a renié ses origines rurales qui ont sans conteste façonné son tempérament, son humeur patiente et tenace, sa prudence un peu défiante à l’égard de ceux qu’il ne connait pas encore, mais également dans l’extrême simplicité de ses goûts.
Une adolescence parisienne
Mais voilà que des évènements inattendus bousculent cette vie bucolique. La famille Chapu se retrouve à Paris. Julien Chapu a trouvé à s'employer comme étant concierge pour le compte du marquis Melchior de Vogüe. La famille prend ses quartiers au 92 rue de Lille.
1848, année troublée, où les rues de Paris sont en ébullition. Cependant il faut bien se décider à en faire quelque chose de ce grand garçon de 15 ans. Après bien des hésitations, Julien et Claire Chapu décident de le placer comme apprenti chez un tapissier. Or voilà que celui-ci demande, qu’au préalable, le futur apprenti apprenne le dessin et quelques autres notions du même acabit. Si le père est surpris, le jeune Henri lui, est ravi d’aller à l’école pour y recevoir un enseignement artistique. C’est ainsi qu’il entre à l’École des Arts décoratifs rue de l'École de Médecine. Deux ans plus tard, ses progrès y sont suffisamment notables pour qu’il soit admis à l’École des Beaux-Arts, en même temps que dans l’atelier du sculpteur James Pradier.
Buste de James Pradier
par Eugène-Louis Lequesne (1815-1887)
Cimetière du Père Lachaise
Né le 23 mai 1790 à Genève.
Mort à 62 ans d'une attaque, à Bougibal (Yvelines), le 4 juin 1852
Premier prix de Rome en 1813.
Expose au Salon pour la première fois en 1819.
Sculpteur classique, il jouit d'une grande notorité sous la Monarchie de Juillet.
Il a ajouté une certaine sensualité à ses œuvres.
Officier de la Légion d’honneur en 1834.
Il Enseigne aux Beaux-Arts jusqu’à sa mort.
La vie dans l’atelier de James Pradier n’est pas rose tous les jours. Henri Chapu était alors un tout jeune homme au regard franc, clair et limpide mais à l’allure assez chétive. Pour les autres élèves du maître, c’est pain béni. Ils ont là sous la main le souffre-douleur idéal. Pas un jour sans railleries et humiliations en tout genre. Le pire, c'est que le maître aussi ne dédaigne pas s’y adonner de temps à autre.
Un soir, avant de fermer l’atelier, il ordonne au jeune Henri, sous peine de renvoi, de dresser sur une selle, seul et sans aide, un lourd bloc de marbre qui git là, dans un coin de l’atelier. Chapu prend cet ordre très au sérieux, la menace encore plus. Repassant plus tard à son atelier, James Pradier s’aperçoit que le bloc de marbre trône sur la selle. Le maître peu charitable, bien que surpris, s’ébaudit tout d’abord de la stupidité de son élève. Mais soudain le frappe qu’un jeune de 17 ans, capable d’accomplir une besogne a priori impossible, n’est peut-être pas si sot que ça... Qu'il peutbien, au contraire, être doté d’une grande force de caractère... Et qu’alors, ce jeune homme vaut peut-être la peine qu’il s’intéresse à lui… James Pradier suit alors le jeune Chapu avec attention, et les progrès de l’élève ne se font pas attendre.
L’année suivante, il n’a alors que 18 ans, il remporte le second grand prix de Rome comme graveur en médailles et en pierres fines.
Le 4 juin 1852, James Pradier est brutalement emporté par une attaque. Le jeune Henri poursuit alors sa formation dans l’atelier de Francisque-Joseph Duret.
Francisque-Joseph Duret
Gravure réalisée par Auguste Cot, parue en 1866 dans la Gazette des Beaux-arts
Né à Paris en octobre 1804.
Premier prix de Rome de sculpture en 1823.
Professeur à l’École des Beaux-Arts.
Membre de l’Institut, Officier de la Légion d’honneur.
Francisque-Joseph Duret est un sculpteur classique.
Sa carrière a principalement été assurée par les commandes officielles.
Il meurt à Paris à 60 ans, le 26 mai 1865.
L'année suivante, c’est encore un Second Grand prix de Rome qu’Henri Chapu reçoit, mais cette fois en sculpture, avec le bas-relief Le Désespoir d’Alexandre après la mort de Clitus.
L’enseignement quelque peu monotone de Francisque Duret ne convient pas au jeune sculpteur qui s’ennuie et n'a plus l'impression de progresser. Aussi décide-il de quitter l’atelier du maître pour se recentrer sur un travail personnel et solitaire, tout en continuant à bénéficier des cours du soir dispensés le peintre Léon Cogniet. Touché par l’exactitude et le zèle du jeune homme, le grand peintre lui réserve une amitié toute paternelle qui ne s’est jamais démentie.
Léon Cogniet
Gravure de Marcellin Desboutin (1823-1902)
Léon Cogniet est né à Paris le 29 août 1794.
Peintre néoclassique et romantique, Léon cogniet est aussi portraitiste, peintre d’histoire et lithographe.
Élève de Pierre Narcisse Guérin (1744-1833), il est le condisciplte de Théodore Géricault.
Il éprouve pour lui une grande estime doubliée d'une amitiésincère et fidèle.
Il l'accompagne sur le chemin douloureux de la maladie jusqu'à la mort de ce dernier, le 26 janvier 1824.
Grand Prix de Rome en 1817, il fait la même année ses débuts au Salon.
Il enseigna le dessin au Lycée Louis le Grand, à l’École Polytechnique et aux Beaux-Arts.
Il est mort à Paris le 20 novembre 1880 à l’âge avancé de 86 ans.
Cependant, Henri Chapu ne prolonge guère cette période et retourne dans l’atelier de Francisque Duret estimant de son devoir de suivre la voie normale et de se préparer au concours de Rome, eu égard à ses parents qui le soutiennent financièrement et au département de la Seine et Marne, qui lui alloue une bourse depuis l’année 1850.
Mais il hésite, le jeune artiste. Quelle voie suivre ? médailleur ? Peintre ? Architecte même ? Sculpteur ?
Les années romaines
Finalement, deux années plus tard (1855), il remporte le Premier Prix de Rome de sculpture, conjointement avec son collègue Amédée Donatien Doublemard, après d'intenses émotions !
Amédée Donatien Doublemard
Sculpteur français né dans l’Aisne le 8 janvier 1826.
Premier de Rome en 1855 partagé avec Henri Chapu, il avait débuté au Salon dès 1844.
Portraitiste de qualité, il réalise un grand nombre de bustes d’artistes.
Chevalier de la Légion d’Honneur en 1877, il s’éteint à Paris en 1900, en faisant un leg à l'institut
qui permit la création d’une bourse pour les élèves sculpteurs se préparant au au concours du Prix de Rome.
Henri Chapu avait envoyé, comme il se doit son groupe en bas-relief, . Au cours de l’installation de son bas-relief réalisé en loge, Cléobis et Biton, dans le hall de l’exposition publique, une corde lâche. La lourde pièce de terre glaise... s’écrase sur le sol. Foudroyé, Henri Chapu se voit déjà recalé : comment juger de son oeuvre après un tel désastre ?
Une telle mésaventure s’était déjà produite, quelques années auparavant, avec l’œuvre d’une autre jeune sculpteur prometteur, Eugène Guillaume (1822-1905, depuis devenu professeur au Collège de France et à l’École Polytechnique, Doyen de la section de Sculpture aux Beaux-Arts et reçu à l’Académie Française au fauteuil du duc d’Aumale).
Loin de se souvenir d'une telle anecdote, le jeune sculpteur tente fébrilement de réparer les dégâts... sans grand succès. Le jury se penche néanmoins sur sa frise, dont une partie n'a pas été totalement gâchée par la catastrophe. Unanime, il ne s’y trompe pas...
C’est ainsi qu’en décembre 1855, avec ses camarades couronnés comme lui du Grand Prix (Doublemard ; Daumet, un architecte ; un musicien Comte, et un graveur en médailles Alphée Dubois – à noter que cette année-là, aucun peintre n’a été récompensé), il parcourt les chemins en direction de Rome. Le voyage à destination de la Villa Médicis de Rome est toute une initiation en lui-même. Ils s’arrêtent et visitent Lyon, Avignon, Arles, Nîmes, Marseille, Gênes, Florence et n’arrivent à Rome que fin janvier. Ils y retrouvent six peintres, quatre sculpteurs (dont Jean-Baptiste Carpeaux), cinq architectes, trois graveurs et deux compositeurs de musique.
Henri Chapu a vécu à Rome cinq années inoubliables. À 22 ans, Henri Chapu est déjà économe, sage, prudent dans ses relations, et il ne cède pas, comme beaucoup de ses camarades, aux plaisirs faciles de la vie romaine. Raisonnable et mature, il ne refuse cependant jamais d’aider ses compagnons lorsqu’ils sont dans le besoin. Si les pensionnaires sont logés, et nourris, les frais de blanchisserie, d’éclairage et de chauffage restent à leur charge, ainsi que les dépenses afférentes à leur art (modèles, instruments, terra à modeler …). Ils bénéficient donc également d’une mensualité de 75 francs. Ce qui n’était pas considérable (d’ailleurs, celle-ci passe, en 1859, à 345 francs), et Henri Chapu doit assez souvent recourir à l’aide paternelle. Pour ne pas grever son budget, et surtout pas goût du travail, Henri Chapu laisse ses camarades se rendre aux nombreuses sollicitations mondaines que reçoivent les pensionnés. Reçus avec les ambassadeurs, les généraux et autres personnalités, il fallait tenir son rang.
Travaillant sans répit dans son atelier, il étudie, lit, détaille, observe, médite. Sa vie de cénobite, ses manières douces et désintéressées lui valent le surnom de « Monsieur l’Abbé ».
Croquis par Henri Chapu de sa chambre à la Villa Médicis
Le Christ aux Anges
Ce premier envoi du jeune sculpteur lui vaut une volée de bois vert.
Les membres de l’Académie lui adressent leurs plus vifs reproches quant à l’immaturité de son travail,
n’hésitant pas à se demander ce qui avait pu lui valoir son prix l’année précédente !
Une lettre de son maître Francisque Duret, non moins tendre ni encourageante, accable davantage encore Henri Chapu.
Mais son tempérament de travailleur infatigable lui fait redresser la tête, et se concentrer encore plus sur ses œuvres.
Élargir son horizon artistique est aussi et surtout le but du séjour à la Villa Médicis. Henri fait plusieurs voyages avec ses collègues architectes, et découvre Pise, Sienne, Venise, Padoue, Bologne, Naples et encore et jours Florence. Un crayon à la main, il arpente la cité florentine et s’imprègne de l’art de la Renaissance.
Henri Chapu s’est plu à Rome, et lorsqu’il doit quitter sa « bien-aimée Académie », c’est pour lui un véritable déchirement. Le retour à Paris, en septembre 1861, est difficile.
Terminé le temps où seule l’étude primait. « Il va me falloir gagner ma vie. Adieu jeunesse, études, voyages, liberté ! Adieu Rome, sans doute pour jamais ! » écrit-il plus que mélancolique. Désormais, il faut affronter une situation pour laquelle il n’est finalement pas préparé : pourvoir à ses propres besoins. Les commandes ne viennent pas toutes seules, il faut aller les chercher.
Des années laborieuses
Le retour de Rome est difficile. Les commandes prestigieuses ne viennent pas. Heureusement, en vertu des règlements de l’Académie, Chapu est le propriétaire de son dernier envoi. L’État la lui rachète 8 000 francs, ce qui permet au sculpteur de dégoter ses premières commandes.
Et elles sont bien moins prestigieuses qu’espérées pour un Grand Prix de Rome ces commandes, mais qu’à cela ne tiennent, le jeune artiste ne craint pas de déchoir, et accepte ces travaux qui le mettent à peine au rang d’ouvrier.
Ces années-là sont une époque d’effervescence de construction dans Paris, les chantiers se multiplient. Rien ne rebute Henri Chapu. Il devient une sorte de sculpteur industriel. Du haut de ses échafaudages, il sculpte mascarons, cariatides, ornements de façades, pour des monuments publics (l’Hôtel de Ville, l’Opéra, les façades de la Gare du Nord, de la Sorbonne, du Palais de Justice, de la Comédie Française, du Printemps Haussmann, de l’Observatoire de Paris), autant que des hôtels particuliers (le Palais Galliera). Peu lui chaut la tâche, si elle lui permet de subvenir à ses besoins.
Le soir, descendu de ses échafaudages, dans le silence de son petit atelier de la rue de l’Abbaye, pour y produire des modèles de pendules et d’ornements divers. Il y ébauchait aussi des bustes, des statues, des médailles…
Le Salon de 1863 lui décerne, pour son Mercure inventant le caducée, une médaille de troisième classe. La reconnaissance arrive, petit à petit.
Mercure inventant le caducée
Il présente, en avril 1864, plusieurs de ces médailles au profil de ses proches ou amis dans une exposition qui se tient boulevard des Italiens, sous l’égide de Théophile Gautier, mais son nom n’est pas encore connu, et ne déclenche pas de commandes.
En ces années difficiles où la gloire semble presque inaccessible, Henri Chapu, du haut de ses échafaudages, ne refuse aucune commande, pas plus la plus insignifiante, jugeant que l’art est noble partout où il s’exerce. S’il apporte dans ces travaux tous les soins et la conscience d’un artiste, il ne s’en considère pas moins comme un simple ouvrier d’art et, pour son salaire, s’en remet à la discrétion de ses commanditaires. Forcément, certains en abusèrent... C'est ainsi qu'à l’approche du jour de l’An, un charcutier du boulevard Saint-Germain lui demande de lui modeler, en saindoux, un sanglier pour le décor de sa devanture. Le jeune sculpteur en réclame 10 francs, un prix plus que raisonnable. Le charcutier le trouve cependant trop élevé et lui propose de reprendre son œuvre de saindoux, les fêtes passées. Madame Chapu mère, en bonne ménagère, conseille à son fils d’accepter, et se trouva ainsi approvisionnée en graisse pour tout l’hiver !
Les vaches maigres ne sont pas réservées à Henri Chapu. Ses camarades de la Villa Médicis ne sont pas mieux pourvu et luttent tous contre l’indifférence du public. Le grand ami Pierre de Coninck, le compère Georges Bizet, le camarade Elie Delaunay, le cher Léon Bonnat supportent tous vaillamment cette demi-misère, s’entraidant dès que la fortune de l’un se réveillait. Ils sont unis autour de la devise Semper Ardentes, Toujours ardents, d’une association fraternelle qu’ils avaient formée à Rome, vers 1860. Un dîner les rassemblait, tous les mois, dans une petite trattoria du Trastevere où, immanquablement, un marchand ambulant de marrons passait alentour en criant cald’ arrosti (chaudes, rôties !). C’est ainsi qu’ils convinrent donc de s’appeler la Société des Caldarrosti, en souvenir de ce dessert dont ils raffolaeint tant. Quelles que soient leurs difficultés, ils ne manquent pas leur dîner mensuel dans un petit bistrot du passage Jouffroy, et lorsque les années de misère ne seront plus qu’un lointain souvenir, l’amitié continuera de les réunir. Les peintres Léon Bonnat, Pierre de Coninck (1828-1910), Jules Lefebvre (1834-1912), Louis Hector Leroux (1829-1900), Tony Robert-Fleury (1837-1911 les sculpteurs Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Jules Chaplain (1839-1909), Alexandre Falguière (1831-1900), Jean-Paul Laurens (1838-1921), l’architecte Honoré Daumet (1826-1911), Constant Moyaux (1935-1911)l’organiste et compositeur Théodore Dubois (1837-1924), le compositeur Charles Lenepveu (1840-1910) toujours se sont soutenus et épaulés.
Honoré Daumet Élie Delaunay
Pierre de Coninck Léon Bonnat
Médailles gravées par Henri Chapu de ses amis les Caldarrosti
Avec d’autres sculpteurs, Antonin Mercié, Hyppolyte Moulin, Ernest Christophe, Paul Dubois, Alexandre Falguière, dont il est très proche, tant sur le plan artistique qu'amical, tous passionnés par l’art italien de la Renaissance, il forme le groupe des Florentins.
Travailleur, âme sérieuse et réfléchie, le cœur droit, la volonté ferme, Henri Chapu est un homme d’une grande bonté. D’une réelle simplicité, il affiche une modestie qui n’est absolument pas de façade. Son regard franc et lumineux brille de bienveillance. Il n’a pas de grandes exigences, Henri Chapu. « (…) le meilleur, disait-il, c’est encore une bonne petite maison entre cour et jardin, avec de quoi y vivre loin des vaines querelles du monde. » Volontiers en retrait dans les cérémonies publique, ne parlant que lorsqu’il y est forcé, il est dans l’intimité causant et plein de charme, et n’aime rien tant qu’évoquer les souvenirs de jeunesse ou les petites misères des débuts avec une verve enjouée.
Le portraitiste révélé
L’année 1868 marque un tournant dans la carrière d’Henri Chapu.
Le 5 novembre 1867, meurt à Paris, à l'âge relativement peu avancé de 64 ans, le comte Charles-Marie-Tanneguy Duchâtel. Ancien ministre du commerce, des finances et de l’intérieur sous la Monarchie de Juillet puis la Seconde République, le comte Duchâtel était une éminnente personnalité. Consciente du rôle de son mari dans la vie politique française, sa veuve voualit laisser de son grand home un buste. C'est Henri Chapu qu'elle mandate de cette tâche. Surpris le sculpteur refuse. il n'a jamais rencontré le comte Duchâtel de son vivant ! Qu'à cela ne tienne, lui est-il répondu, il existe, des portraits, des gravures, et il est encore temps de faire son masque mortuaire ! Henir Chapu réalise réalise donc son œuvre simplement d’après ces éléments… Présenté au salon de 1869, le buste convainc tous ceux qui l'admirent, et c’est au tour de la famille du comte de Montalembert puis d’autres personnalités de lui passer commande.
Buste en marbre du comte Charles-Marie Tanneguy Duchâtel
Henri Chapu, salon de 1869
Musée d'Orsay
Dès lors, son talent est reconnu. Il réalise de nombreux médaillons et une trentaine de bustes en marbre ou en bronze, la plupart destinés aux monuments funéraires sur commande de la grande bourgeoisie parisienne.
La reconnaissance arrive peu à peu cependant. Le Salon de 1863 lui avait décerné la première de ses médailles, celle de troisième classe pour Mercure inventant le caducée, statue qui prend rapidement place au musée des Artistes vivants, au palais du Luxembourg. En juin 1866, la Légion d’Honneur au titre de chevalier lui est décernée. Mais c’est une sculpture en marbre, présentée au Salon des Champs Elysées de 1870, qui le révèle au grand public.
Quand la célébrité est enfin là
C'est une version originale et peu habituelle de Jeanne d’Arc qu’il présente au Salon du printemps 1870. Une version qui lui vient du coeur. Pour lui, Jeanne d'Arc n'est pas cette guerrière en armure. C’est en humble pastourelle. Très touché par l'intériorité et l'humilité de la Jeanne d'Arc de la princesse Marie d'Orléans, il ne veut pas d'une héroïne aux heures de triomphe, d'unemartyre à l’heure suprême du bûcher. Il veut une jeune fille dans l’obscurité de sa vie vosgienne, stupéfaite voire pétrifiée, mais aussi exaltée la tâche qui lui est confiée.
Malgré un contexte politique et diplomatique ardu, sa Jeanne à Domrémy remporte les suffrages du public et ses critiques.
Mais quelques mois à peine après l’ouverture du Salon, éclate la guerre avec la Prusse. Ayant passé l’âge du service actif, et exempté d’office du métier des armes par son Premier Prix de Rome, Henri Chapu aurait pu se contenter de ces bonnes raisons pour suivre la guerre depuis l’arrière. Mais impossible pour lui de ne pas servir sa Patrie. Il s’enrôle donc dans la Garde Nationale. Avec son ami Alexandre Falguière, ils sculptent un bloc de glace, qu’ils placent sur les remparts, face aux troupes assaillantes. C’est ainsi qu’une colossale figure de la Résistance nargua les Prussiens et anima le courage des Parisiens toute une semaine avant de fondre….
Puis vient la Commune. Et ses excès. Indigné, Henri Chapu proteste contre les outrages en tous genres, contre les habitants de son quartier, contre le vandalisme des édifices et monuments… tant et si bien que le voilà poursuivit par un mandat d’arrêt. Sauvé par ses amis, il doit se résoudre à se cacher dans une chambre de l’hôtel de Vogüe jusqu’à les troupes versaillaises n’entrent dans Paris.
Après la guerre, les commandes affluent tant de l’Etat, que de particuliers. Le 1er juillet 1872, il est promu officier de la Légion d’Honneur.
1875 est l’année où sa sculpture La Jeunesse est récompensée par la médaille d’honneur du Salon, fortement marquée par le goût de l’artiste pour la Renaissance. Destinée au monument à Henri Regnault, jeune peintre orientaliste de 24 ans, mort glorieusement à Buzenval (dans la commune de Rueuil-Malmaison) le 19 janvier 1871 et aux onze élèves bravement morts pour la patrie, elle est inaugurée le 11 août 1876. Le monument s’élève dans la cour du Mûrier de l’École des Beaux-Arts.
La Jeunesse
Cette œuvre a la faveur du public, des critiques de ses pairs, et elle sera reproduite de nombreuses fois pour la décoration de monuments aux morts. Ses œuvres suivantes, La Pensée, l’immortalité, asseyent sa gloire. Et les commandes affluent.
Membre du jury de l’exposition universelle de 1878, il est, cette même année, chargé par le gouvernement français, de la délicate mission, aidé des peintres Ernest Hébert (1817-1908) et Alexandre Cabanel (1823-1889), d’organiser la venue des artistes français à l’Exposition internationale des Beaux-Arts de Munich, si peu de temps après la fin de la guerre. Mission ô combien délicate, mais que tous trois menent à bien.
Un mariage et une élection
L’année 1880 est une année faste pour notre sculpteur.
Le 23 octobre, suprême honneur, Henri Chapu est élu à l’Académie des Beaux-Arts par 23 voix sur 32 contre Alexandre Falguière (1831-1900). Ce dernier est finalement élu en 1882 au fauteuil n°4, succédant à François Jouffroy (1806-1882). Henri Chapu, lui, prend le fauteuil n°7, succédant à Philippe Joseph Henri Lemaire (1798-1845). C’est Antonin Mercié, un autre sculpteur de Jeanne d’Arc qui lui succèdera en 1891.
Le 15 décembre, il épouse Marie Cozette de Rubempré (1847- après 1897), dont il partage depuis déjà la vie depuis de très nombreuses années. Tous les deux adoptent la nièce de Marie que sa mère leur avait confiée sur son lit de mort. En 1887, la jeune fille fait son entrée dans le monde, et Henri Chapu, très fier d’elle, l’accompagne aux bals et dîners, lui pourtant si casanier !Il est toujous présent à ses côtés lorsque quelques années plus tard, cette dernière perd son mari très peu de temps après leur mariage...
Buste en marbre de Marie Chapu, née Cozette de Rubempré, Musée Bonnat-Helleu, Bayonne
Marie Chapu, médaillon en bronze d'Henri Chapu, 1861, Musée d'Orsay
Professeur de modelage à l’Ecole des Beaux-Arts, chevalier puis officier de la Légion d’Honneur, Henri Chapu cumule les récompenses et les honneurs de la Troisième République.
Ce sont désormais trois ateliers dont un rue Notre-Dame des Champs, qu’il dirige. Une boutique également, où de temps à autre il se rend, pour prendre le pouls d'une clientèle souvent exigeante mais sans cesse croissante. Il reçoit une foule de quémandeurs qui vient le solliciter. Il a le cœur sensible, Henri Chapu, il se souvient des temps difficiles. Il ne peut fermer sa porte. Ses livres de comptes sont les témoins discrets de l’inépuisable bonté de son cœur. Il est tellement conscient que la gloire autant que la richesse sont éphémères. Il est témoin de la fin, dans le plus grand dénuement de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), dont la carrière fulgurante lui a valu non seulement la reconnaissance et les honneur de la famille impériale mais aussi du tout Paris, jusqu'à ce que la maladie le terrasse et l'emporte, dans la plus grande solidude, à l'âge de 48 ans après une fulgurante carrière de 15 ans... Il porte aussi la mort tragique de son ami Alexandre Schoenewerk (1820-1885) dont les malheurs familiaux s'alourdissaient de critiques professionnelles...
L'hiver 1891 est un hiver terrible. Un froid sibérien règne sur Paris. Une épidémie de grippe fait des ravages dans la capitale. Henri Chapu l'attrape, et s'il en guérit, elle le laisse dans un grand état de faiblesse. Il travaille alors sur sa plus grande œuvre, le Monument, pour la ville de Rouen, du Cardinal de Bonnechose. Terriblement fatigué, lui qui pourtant jamais ne se plaint, ronchonne à sa femme Marie « (…) je me demande si, dans ces conditions [de grande fatigue], je ne ferais pas mieux d’aller qans quelque coin laisser tranquillement mes jours s’écouler et, en attendant la fin, y jouir de la vie en spectateur paisible. »
Et voilà qu'en avril, un petit refroississement se transforme en une congestion pulmonaire, qui l'emporte en quelques jours. Il s'éteint le samedi 21 avril 1891 à l’âge de 58 ans.
Ses obsèques se tiennent le jeudi 26 avril à midi, en l’église Saint-François Xavier. La foule immense de ses amis sincèrement affligés suivent le cortège funèbre. Parmi eux, le peintre Elie Delaunay. Souffrant pourtant d'une grippe, il tient absolument à accompagner son camarade pour un dernier hommage. L’épreuve lui a été difficile. Son ma s'aggrave. Il s’éteint à son tour trois jours plus tard…
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