Le temps de l'Enfance...
Jean-Antoine Houdon est né à Versailles, sous le règne de Louis XV, à l’aube du printemps 1741, un 20 mars.
D’une longévité pas si courante que ça pour l’époque, il enjamba deux siècles et il s’en fallut de deux ans qu’il ne connaisse, en plus de celle de 1789, la Révolution de 1830 et l’avènement de Louis-Philippe.
Tandis que sa mère, Anne Rabache, s’occupait de ses dix enfants (sept garçons et trois filles), son père, Jacques Houdon, était domestique chez un noble versaillais, monsieur de Lamotte, demeurant rue d’Anjou. Sans doute valet de chambre, majordome ou intendant, Jacques Houdon possédait de l’instruction, savait lire et écrire. Il rédigea tout au long de sa vie, un « livre de famille » dans lequel il transcrivait les faits et gestes de sa nombreuse famille.
En 1743, Jacques Houdon quittait le service de monsieur de Lamotte pour s’établir marchand de vins, près de l’un des octrois de Versailles. Sans doute cette tentative commerciale ne fut-elle pas très rentable, car cinq ans plus tard, Jean-Antoine était alors âgé de sept ans, Jacques Houdon reçoit, sur recommandation de monsieur de Lamotte, l’emploi de concierge de la nouvelle École des Élèves Protégés du Roi, place du Vieux-Louvre. Il conserva son poste jusqu’à la suppression de l’école en 1775.
Le jeune Jean-Antoine aimait traîner ses guêtres dans les couloirs de l’école, et, une chose en entraînant une autre, se mit tout naturellement à manier la glaise. Son père, attaché à la réussite de sa progéniture, encourageait chacun de ses enfants à acquérir une bonne instruction et à développer ses dons. L’un de ses aînés, Jacques-Philippe, architecte, devint garde-magasins (on pourrait dire aujourd’hui conservateur) des menus plaisirs et affaires de la Chambre du Roi, tandis qu’un autre de ses frères, Jean-Valère, greffier termina sa carrière comme juge de paix, toujours à Versailles.
Tout naturellement, Jacques Houdon laissa son fils aller vers l’art et la sculpture. Jean-Antoine entra à l’Académie Royale de Peinture et Sculpture, où il suivit les enseignements de René-Michel Slodtz (1705-1764) dit Michel-Ange Slodtz. Statuaire et bronzier hors pair, Prix de Rome, celui-ci transmit à son élève toute sa technicité, mais aussi un regard empreint d’attention, d’intelligence et de bienveillance à l’égard de ses sujets.
Le temps des études...
Jean-Antoine Houdon avait tout juste 20 ans quand, en 1761, il décrocha lui-aussi le Premier Prix de Rome. Il ne put partir immédiatement à Rome, car il lui fallait auparavant faire ses trois années obligatoires à l’École des Élèves Protégés du Roi. Ce ne fut donc qu’en novembre 1764, que le jeune sculpteur s’installa dans la Ville Éternelle. Dès son arrivée, il se lança dans l’étude des œuvres de l’antiquité, et les artistes de la Renaissance, tels Donatello ou Michel-Ange, et les artistes baroques tels Le Bernin qui menèrent à des observations anatomiques très poussées qui débouchèrent, en 1767, sur un Écorché (en plâtre ; il en cisela un en bronze plus tard, en 1792) à la précision si scientifique qu’il remporta l’approbation générale, et reste encore aujourd’hui, un modèle du genre.
1769 marqua l’année de sa première exposition au Salon. Ses productions étaient alors mythologiques et allégoriques, et le plus souvent en plâtre.
Les débuts d'une carrière de bustier
Le salon de 1771 lui, accueillit son premier buste en terre cuite : un portrait de Denis Diderot, le philosophe qu’il tenait en grande amitié, l’encyclopédiste qui inculquait à ses contemporains des faits scientifiques, techniques, naturels, historiques, ethnographiques. Il inaugurait ainsi une longue carrière de bustier comme l’on disait alors, qui lui vaudra le surnom de « portraitiste des Lumières ».
Grâce à ce buste, mais aussi à l’amitié de Denis Diderot, très introduit dans toutes les cours d’Europe, Jean-Antoine Houdon obtint ses premières commandes de princes européens. Pour le comte de Strogonov, il sculpta le buste de Catherine II de Russie, et travailla pour la famille ducale de Saxe-Gotha. Ce qui fait décoller sa carrière parisienne.
Arrivé à la maturité aux dernières années du règne de Louis XV (à partir de 1771, Louis XV mourut en 1774), il sculpta tous les représentants les plus illustres de la cour, ministres, parlementaires, chefs de l’armée et de la marine, en même temps que les philosophes, les gens de lettres et les acteurs les plus réputés. Bustier à l’apogée de son art, le gotha du règne de Louis XVI ne jurait que par lui, bien qu’il ne parvint jamais à la faveur royale, la place étant fermement tenue par Augustin Pajou 1730-1809), son aîné. Il ne réalisa un portrait de Louis XVI qu’à la veille de la Révolution, et même pas celui de la Reine, buste qui fut d’ailleurs difficilement payé !
Des amitiés américaines
En 1778, Jean-Antoine Houdon fit la connaissance de Benjamin Franklin, tout juste arrivé à Paris des Etats-Unis. Malgré leur grande différence d’âge, quelques trente-cinq années, une réelle amitié naquit entre le diplomate-scientifique américain et le sculpteur français. Ils s’embarquèrent tous les deux le 22 juillet 1785 pour Philadelphie, Jean-Antoine ayant reçut commande d’une statue de Washington. Le contrat pour cette statue avait été passé le 17 juillet 1785 et fixait les émoluments du sculpteur (ainsi que ceux de ses deux aides, Bégler et Michetti) à 25 000 livres pour la statue et son piédouche ainsi que les dépenses de voyage. Jean-Antoine avait également exigé une somme de 10 000 livres, une assurance-vie en quelque sorte, dédiée à sa famille s’il venait à mourir au cours de son voyage en Virginie. Le sculpteur avait particulièrement tenu à cette clause afin que les revenus de sa mère et deux de ses sœurs continuent à être couverts même s’il lui arrivait quelque chose. Son père qui était mort en 1786 à l’âge de 81 ans, percevait une pension de retraite de 300 livres par an. Toutefois, cette rente s’éteignit avec lui et Anne Rabache, la mère de Jean-Antoine, se retrouva sans ressource avec encore deux filles à charge. Le sculpteur, dont la carrière lui assurait un train de vie aisé, prit en charge sa mère et ses sœurs.
Arrivé le 14 septembre dans la grande cité de Pennsylvanie, Jean-Antoine Houdon s'installait à Mount Vernon pour quinze jours. Le général Washington le reçut avec affabilité et le sculpteur travailla sans relâche. De retour à Paris le 4 janvier 1786, il s'attela à composer, avec toutes les données relevées à Mount VErnon, un buste en marbre du grand homme américain, destiné à la Salle des Séances de l'État de Virginie.
Le temps du mariage...
Cette situation familiale expliqua aussi la raison pour laquelle le sculpteur se maria fort tard, à 45 ans. Ce fut en effet peu après son retour d’Amérique, qu’il épousa, le 1er juillet 1786, la jeune Marie-Ange-Cécile Langlois, née à Amiens. Elle n’avait que 19 ans, soit 24 ans de moins que lui. Cela n’empêcha pas le ménage d’être heureux et soudé et de donner vie à trois filles, Sabine (née en 1787), Anne-Ange (née en 1788) et Claudine (venue au monde en 1790).
De la Révolution à l'Empire
La période révolutionnaire n’a guère été favorable à Jean-Antoine Houdon, comme à beaucoup d’autres artistes d’ailleurs. En effet, en ces temps troublés, l’État, pas plus que les établissements publics ne se préoccupaient de financer commandes de grands travaux. Si les projets foisonnaient, mais ils n’aboutissaient point : les trois quarts des monuments envisagés restèrent sur le papier ou à l’état d’esquisses. Notre sculpteur eut peut-être un peu plus de chance que les autres ? Sur 9 statues commandées, il put en réaliser 6 : un Jean-Jacques Rousseau ; la statue équestre de Washington ; un Bayard destiné à la décoration du pont de la Concorde ; une Philosophie, une statue en bronze de Napoléon 1er et enfin un général Joubert. Toutefois, pour diverses raisons, ces trois dernières statues sont aujourd’hui disparues. Les temps, mais pas les ambitions, et tout comme sous l’Ancien Régime, notre sculpteur oeuvra aux portraits des gloires de la Révolution : Lafayette, Mirabeau, Barnave, Dumouriez.
L’Empire sut également exploiter le célèbre bustier qui n’aimait rien tant que s’emparer de son époque pour l’éterniser dans la glaise, le plâtre, le marbre et le bronze.
Le portraitiste portraituré
Petit de taille, l’œil vif, l’air riant, le geste rapide, la parole facile et spirituelle, sans orgueil, bonhomme, et d’une si grande modestie qu’il n’arrivait pas à comprendre l’ambition des autres, Jean-Antoine Houdon porta aux idées philosophiques des Lumières, si pleines d’espoir et si neuves un intérêt qui a galvanisé son art. « Il possède un tempérament d’artiste et un don merveilleux de créateur, qui réalisent naturellement l’équilibre harmonieux des formes et la vérité physionomique intense et qui constituent son génie propre. » écrivait en 1926 Paul Vitry, conservateur du département des sculptures au Musée du Louvre, qui lui consacra une grande partie de ses études. Maître incontesté de l’art du portrait, il gagna son surnom de « portraitiste des Lumières » sous Louis XV et le conserva sous l’Ancien Régime.
Des portraits réalistes et authentiques
Jean-Antoine sculptait avec réalisme, et après des heures d’études, de prises de mesures, de réflexion, d’observation. Sans chercher les effets, il rendait avec une sincérité absolue le caractère de ses sujets. Il ne recule devant aucune des petites réalités de la vie. Ainsi, il n’hésita pas à restituer la peau marquée par la petite vérole sur son portrait du compositeur allemand Christoph Willibald Glück (1714-1787). S’il exprima le sourire et la noblesse affable qui traduit l’aimable nature de Antoine-Louis de Caumartin, il rendit néanmoins sans complaisance son double menton et le plissé du bas du visage, ce qui n’entache en rien l’air sympathique qui se dégage du magistrat.
De si attendrissants bustes d'enfants
À côté de ces figures historiques, Jean-Antoine Houdon sculpte l’amitié et l’intimité en des bustes d’une grâce, d’une délicatesse et d’une tendresse touchantes. « [Son] cœur conduit alors [son] pouce quand il caresse la glaise ou travaille le plâtre. » Comme elles sont émouvantes ces figures d’enfants, les siens aussi bien que ceux de son ami l’architecte Alexandre-Théodore Brongniart.
En 1805, Jean-Antoine Houdon, est nommé professeur à l’École des Beaux-Arts. Quand le 24 février 1823, entourée de ses trois filles, de ses gendres et de ses petits-enfants, il enterra sa femme bien-aimée, Marie-Ange-Cécile Langlois. Ce deuil l'affecta si terriblement, que le 22 mars, il quitta son poste de professeur. Il avait 82 ans. Il s’installa dans un petit logement concédé par la Bibliothèque Royale, rue Richelieu, perdant peu à peu ses forces et son esprit. Il s’y éteignit doucement, le 15 juillet 1828, à 9 heures et demie du soir.
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